« Je suis membre d’un club dont personne ne veut faire partie. »
Lors d’un rendez-vous médical, Dean Snow a eu un moment de panique quand son cardiologue a voulu l’hospitaliser sur-le-champ. Il espérait rentrer rapidement à la maison pour rejoindre sa femme et son garçon, qui avait quelques jours à peine.
Toutefois, une échocardiographie a révélé un problème majeur avec sa valve aortique. Cela faisait des semaines que Dean était souvent essoufflé, et qu’il toussait constamment – y compris durant l’accouchement et la naissance de son fils.
Dean a donc été admis à l’hôpital. Les médecins ont mis des semaines à diagnostiquer son endocardite – une infection de la couche interne du cœur pouvant endommager les valves. « Ils ont décidé que je devais me faire opérer, se rappelle Dean. On a même dit à ma femme que je ne survivrais pas sans remplacement valvulaire. »
À 31 ans, Dean allait subir sa deuxième chirurgie à cœur ouvert – qui ne sera pas sa dernière.
Aujourd’hui, le psychologue de 66 ans de Fredericton a sa pratique privée – après une longue carrière dans les soins de santé provinciaux, notamment auprès de nombreux patients cardiaques. Il a raconté son histoire à Une voix aux maladies valvulaires Canada.
Quelle a été votre première expérience avec la maladie valvulaire?
Je suis né avec une bicuspidie aortique. Je présume qu’on a écouté mon cœur et entendu un souffle cardiaque fort.
On a dit à mes parents que ça pouvait disparaître avec le temps ou nécessiter une opération à un moment dans ma vie. Dès lors, on a suivi ma santé cardiaque; chaque année, je passais une échocardiographie et un examen médical complet. À 12 ans, j’ai subi ma première chirurgie à cœur ouvert pour réparer ma valve.
À quel point vous préoccupiez-vous de votre santé cardiaque quand vous étiez jeune adulte?
Ça ne m’inquiétait pas beaucoup. Dans ma vingtaine, j’ai commencé à être suivi régulièrement en cardiologie : tous les ans, on me faisait porter un moniteur Doppler, qui montrait que ma valve réparée fonctionnait plutôt bien. C’est aussi à cette époque que j’ai commencé mon traitement intermittent contre l’hypertension.
On me disait que l’activité physique était bonne pour ma santé et que je devais bouger autant que possible, mais je ne pouvais pratiquer aucun sport de contact pour protéger mon sternum, qui avait été refermé avec du fil. Alors, je me suis mis à la natation, et j’ai perdu beaucoup de poids.
Pourquoi avez-vous subi un remplacement valvulaire à 31 ans?
Lors d’une promenade avec mon frère, que je visitais à Ottawa, j’ai remarqué que j’avais de la difficulté à le suivre et à reprendre mon souffle. Quelque temps après, j’ai développé une toux sèche et je m’essoufflais de plus en plus facilement. C’était pire la nuit : je toussais tant que ça me réveillait et m’obligeait à m’asseoir.
Un mois plus tard, j’ai consulté mon médecin généraliste, qui croyait que c’était de l’asthme ou une réaction à mon médicament contre l’hypertension. Il a ajusté ma médication, mais ça n’a rien changé.
Finalement, j’ai été admis à l’hôpital, où j’ai reçu un diagnostic d’endocardite et subi une chirurgie pour remplacer ma valve aortique par une valve mécanique. Je suis resté à l’hôpital pendant six semaines en tout.
Comment s’est passée la chirurgie?
Avant l’opération, j’étais terrifié – complètement terrifié : on m’a énuméré neuf raisons pour lesquelles mon cas était plus compliqué que celui d’autres patients. L’une d’entre elles était ma précédente opération à cœur ouvert. Le chirurgien m’a dit : « Je ne sais pas à quoi m’attendre dans le bloc opératoire. Vous pourriez subir un accident vasculaire cérébral. Vous pourriez avoir une crise cardiaque. » Tout ça était très troublant.
Heureusement, l’opération a été réussie. Ma réaction la plus émotive dans cette expérience est sans doute celle que j’ai eue quand mon chirurgien est venu me voir aux soins intensifs environ une heure après mon réveil : il a pris ma main et m’a dit que tout c’était bien passé.
Quelle était la cause de votre endocardite infectieuse?
Toute ma vie, en raison de ma bicuspidie aortique, on m’a recommandé de prendre des antibiotiques avant des soins buccodentaires majeurs – comme des extractions. On me disait que je n’avais pas besoin d’en prendre avant des soins préventifs (p. ex., nettoyage).
Pourtant, je crois que l’infection a été contractée lors d’un rendez-vous de routine qui a eu lieu quelques mois avant mon hospitalisation. Donc, j’ai soit mal compris les instructions qu’on m’a données concernant les antibiotiques, soit reçu de l’information erronée.
REMARQUE : Tous les soins buccodentaires peuvent faire entrer des bactéries dans le sang. Les personnes ayant subi une chirurgie cardiaque présentent un plus grand risque d’infection, comme l’endocardite, car il est plus facile pour les bactéries de se fixer au site d’une opération. Si vous avez une prothèse valvulaire mécanique ou biologique, ou avez subi un remplacement valvulaire quelconque (p. ex., allogreffe ou autogreffe), parlez à votre médecin de la prise préventive d’antibiotiques avant toute intervention buccodentaire ou autre. Lisez les recommandations de l’Association dentaire canadienne sur la prévention de l’endocardite infectieuse, ainsi que nos conseils sur la façon de protéger votre santé cardiaque.
Maintenant, je prends toujours 2 000 mg d’ampicilline – quatre grosses capsules – une heure avant mes rendez-vous dentaires. Je n’ai eu aucune autre infection du genre depuis.
Qu’est-ce qui a contribué à votre rétablissement après votre remplacement valvulaire?
Au cours de l’année qui a suivi mon opération, j’étais plutôt dépressif. Je crois que j’ai vécu le traumatisme de mon expérience à retardement.
À l’époque, je travaillais dans les soins de santé et suivais des patients cardiaques, entre autres : j’ai commencé à ressentir des émotions qui nuisaient à ma pratique. Je me rappelle qu’un client m’ait dit : « Je ne pense qu’à ma mort. » Ça m’a fait prendre conscience : « Moi aussi, j’ai les idées noires. »
J’ai informé mon superviseur que j’avais besoin de voir quelqu’un. Ainsi, j’ai bénéficié d’une aide psychologique pour gérer mes émotions.
Sous la recommandation de mon cardiologue, j’ai aussi participé au programme de réadaptation cardiaque de l’Université McMaster à Hamilton, où je résidais à l’époque.
Ce programme n’était pas très éducatif et n’offrait aucun soutien émotionnel; il était principalement axé sur le reconditionnement physique. Il a tout de même eu une incidence incroyable sur mon rétablissement : petit à petit, j’ai amélioré ma capacité cardiaque au moyen d’exercices sous supervision et repris confiance en mon cœur.
J’ai dû m’habituer au cliquetis de la valve, qui a fini par fondre dans la trame sonore du reste de mon corps. Après mon remplacement valvulaire, j’ai commencé à prendre quotidiennement de la warfarine, un anticoagulant, et j’ai encore des prélèvements sanguins tous les mois pour vérifier si mon temps de coagulation (RNI) est bon.
Vous avez subi une troisième chirurgie cardiaque. Pouvez-vous nous en parler?
J’étais dans la mi-quarantaine et je venais d’emménager à Fredericton. Je voyais un cardiologue tous les ans pour vérifier le fonctionnement de ma valve mécanique. Un jour, il m’a appelé pour me dire que mon aorte était légèrement dilatée.
On ne m’avait jamais dit que les personnes avec une bicuspidie aortique étaient plus susceptibles de développer un anévrisme de l’aorte.
REMARQUE : Un anévrisme aortique est un affaiblissement ou un renflement dans l’aorte, le principal vaisseau sanguin du cœur. Il peut causer la séparation ou la déchirure de l’aorte, suivie d’une hémorragie mortelle. Il s’agit d’une urgence médicale.
Il m’a envoyé au département de cardiologie de l’Hôpital régional de Saint John. Pensant qu’il s’agissait d’un simple examen de routine, ma femme et moi prévoyions en faire une escapade romantique et aller au restaurant après le rendez-vous.
Là-bas, on nous a dit : « Votre aorte est hypertrophiée, et il faudra vous opérer pour la réparer, sans doute cet automne. »
Nous étions absolument estomaqués. « Pas encore! », avons-nous tous les deux pensé.
Que s’est-il passé ensuite?
Un cathétérisme veineux de l’aorte a révélé que l’anévrisme était moins grave que l’on pensait. Alors, on a recommandé d’attendre qu’il soit plus gros avant d’intervenir.
Pendant huit ans, j’ai passé une tomodensitométrie d’abord chaque année, puis tous les deux ans. En 2012, l’anévrisme avait atteint cinq centimètres, et j’ai subi une autre chirurgie à cœur ouvert.
Je suis devenu membre d’un club dont personne ne veut faire partie. Mon chirurgien a dit : « Je ne crois pas connaître un autre adulte ayant subi trois opérations à cœur ouvert. »
Heureusement, cette intervention – comme les précédentes – s’est bien déroulée. J’ai commencé des exercices de réadaptation dès que je suis rentré chez moi, comme des promenades avec mon fils.
À ce moment, je travaillais dans un centre de réadaptation cardiaque : j’animais des séances de psychologie que j’avais conçues pour le programme à Fredericton. Grâce au soutien en physiothérapie, j’ai pu participer au volet physique du programme. Cette fois encore, ça m’a aidé à me remettre sur pied.
Comment allez-vous maintenant?
Je vais bien. Je fais des promenades de 40 minutes à un bon rythme, et ce, trois ou quatre fois par semaine. J’utilise un moniteur d’activité physique pour m’assurer que mon rythme cardiaque dépasse rarement les 120 battements par minute (bpm).
Aujourd’hui, j’ai un bloc de branche droit, une perturbation de la conduction nerveuse dans mon cœur, sans doute à cause de mes multiples chirurgies. On m’a dit que je pourrais avoir besoin d’un stimulateur cardiaque dans le futur.
Quelle est l’importance de la santé mentale et émotionnelle lorsqu’on vit avec une maladie valvulaire?
Elle peut être déterminante. Il est impossible de savoir comment une chirurgie cardiaque vous affectera. Alors, j’encourage les patients à participer à un programme de réadaptation. La plupart des gens sont plutôt anxieux au début, mais un tel programme peut leur offrir de l’information rassurante.
Certes, le traumatisme n’est pas toujours immédiat – comme dans mon cas : chaque personne est différente. C’est pourquoi, lorsque je travaillais en réadaptation cardiaque, les patients avaient accès au programme pendant un an, même si le volet physique ne durait que huit semaines.
Ainsi, si une personne est hantée par un souvenir troublant ou ressent une profonde anxiété, elle peut à tout moment communiquer avec les responsables de son programme de réadaptation ou se rendre sur place.